18.3.12

Fin d'une danse

La mélodie devenue plus lente annonçait la fin prochaine de la chanson, et ils ne parvenaient toujours pas à donner à leur danse une figure de nécessité. Ni l’ampleur de la ronde, ni le goût de l’intimité. Ses doigts ne prenaient pas dans le terreau de ses paumes. Malgré l’envie, il manquait l’évidence à leurs gestes ; et la pointe de leur chaussures s’agaçait l’une sur l’autre avec un faux air de bousculade.
Ils anticipèrent les dernières notes de l’orchestre, dégageant leurs souffles de leurs cous,  ne se tenant plus que du bout des coudes, ses lèvres boudeuses et son œil désolé. La lumière des lampions éclairaient en vain leurs profils contraints. Ils se voyaient à cru, sans douceur ni tendresse, comme dans le plein jour sans charme du soleil quotidien. Ils se sourirent pour s’excuser, se remerciant poliment l’un l’autre d’être venus malgré tout, et chacun regagna aussitôt son corps solitaire. Assis de nouveau de part et d’autre de la foule debout, comme avant, un peu plus épuisés seulement d’avoir tant essayé.

18.2.12

Initiation précoce

Après de longues minutes de fouille dans les reliefs du poulet dominical, Rosa saisit l'os à faire les voeux dans son petit doigt glissant de graisse et en tendit l'autre extrémité à son frère. Fermant les yeux, elle souhaita avec toute la solennité dont ses huit ans la rendait capable une vie de bonheur, d'amour et de santé. A trois ils tirèrent chacun de leur côté. L'os qui cassa fut celui de sa deuxième phalange.

14.2.12

Isofemmes

En colorimétrie, on appelle isophanes des couleurs qui, pour être dissemblables, ont une valeur identique : de sorte que si on les photographiait en noir et blanc, une seule et même teinte de gris les réunirait comme jumelles. Dans son souvenir, Odilon ne distinguait lui-même plus très bien les brunes des blondes qu’il avait eues.

8.2.12

Chien méchant

Idiots qui regardez avec bienveillance le chien lécher les blessures qu’il vient d’infliger à sa compagne comme un geste de repentir et de tendresse… quand il ne cherche qu’à agacer la plaie pour retarder sa cicatrisation !

3.2.12

Casse-noisette

« Encore raté », constata-t-il, la gorge serrée au spectacle de la dernière noix qu’il venait de réduire en miettes. Il avait contraint trop fort le fruit difficile, dont il faut savoir fendre l’écorce sans blesser l’amande. Croyant découvrir un morceau tendre épargné il le porta à sa bouche, mais un éclat de coquille venu avec lui cisailla l’intérieur de la joue. Il recracha la pâte brune en jurant puis versa une larme douloureuse sur l’incomestible brouillamini de cosse et de chair.
Découragé, se demandant s’il existait vraiment homme possédant le talent exigé, il jeta son maillet et se fit cuire un œuf.

31.1.12

Géométrie de l’amour

Regardez-les : ils s’aiment sans aveu. L’inquiétude est entre eux, qui les jette et déjettte l’un sur l’autre, l’un loin de l’autre tour à tour.  Ils attendent agités la percussion qui fera sonner leur peau de tambour, trépignant de désir pour cette collision de buste à buste qui rompra leurs côtes maigres. Leur amour se tient là, dans cette géométrie frontale, et ils ont oublié avec le sommeil le côte-à-côte tendre où l’amitié repose. Pauvres figures.

26.1.12

La belle au moi dormant

« Tu seras très intelligente», dit la première marraine en se penchant sur le berceau de Gladys.
« Tu embelliras d’année en année », dit sa sœur arrivée à son tour aux abords du couffin.
« Tu auras de nombreux talents », clôtura la troisième tante dans un sourire bienveillant.
Alors, dans un fracas de foudre, la dernière marraine vexée d’avoir été oubliée arriva dans la chambre de l’enfant disposée à perpétrer sa vengeance : « Mais jamais, jamais tu ne rendras compte de ces dons-là que t’ont faits mes sœurs, et te croiras jusqu’à ta mort bête, laide et médiocre. »
                        
 Joyeux anniversaire à C.